La plus grande pierre levée de Wallonie, la pierre Brunehaut, à proximité du village de Hollain, au sud-est de la ville de Tournai (Hainaut), fascine depuis longtemps, bien avant que sa nature de mégalithe néolithique n’ait été établie. Au fil du temps, de nombreuses légendes se sont fixées sur cette impressionnante dalle de grès de forme trapézoïdale qui dépasse du sol de 4,2 m du côté nord. Tout récemment, l’hebdomadaire Télé moustique du 7 juillet, p. 34-35, vient d’en livrer deux à ses lecteurs, celle de Brunehaut, reine d’Austrasie qui donna son nom à la pierre, et celle de la fin du monde en cas de chute du monolithe.
www.megalithe.be présente plus en détail la pierre Brunehaut du point de vue archéologique dans sa rubrique Monuments et avait déjà consacré une actualité, le 13 avril 2010, à l’émission de timbres postaux privés relatifs à ce monolithe. Pour développer le thème abordé par Télé moustique, un rappel plus complet du riche légendaire attaché au site est proposé ici.
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F. Lecouvet (1853, La pierre Brunehaut, Messager des sciences historiques, Gand, p. 217-237) a recueilli une courte légende selon laquelle le bloc fut transporté par Jésus-Christ et porte encore la trace du pied de la Vierge Marie.
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L. Desailly (1924. Le menhir de Solre-le-Château, Bulletin de la Société préhistorique française, XXI, p. 139-146) rapporte une version très proche où la trace de pied est celle du Christ lui-même mais selon M. Van Haudenard (1958, Contribution au folklore hennuyer. Légendes du Hainaut. La Vie wallonne, 32, p. 5-53), il pourrait ne s’agir que d’une altération de la légende initiale.
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Dans une troisième légende liée au transport du menhir, Notre-Dame elle-même souhaitait aider à la construction de la cathédrale de Tournai en apportant une pierre de fondation dans son tablier. En réalisant, en chemin, que la première assise de l’édifice avait déjà été posée, Marie laissa tomber son fardeau à l’endroit même où il est aujourd’hui dressé (légende rapportée par L. Desailly, 1922, Note sur quelques monuments mégalithiques de la région du Nord, Bulletin de la Société préhistorique française, XIX, p. 176-196). Dans ce cadre, une petite dépression observable sur la face sur du monolithe est souvent interprétée, certes avec un peu d’imagination, comme celle du pied de Marie.
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Une dernière variante du déplacement de la pierre Brunehaut veut que des forces surnaturelles empêchèrent les constructeurs de la cathédrale de Tournai de s’emparer du mégalithe qu’ils venaient de desceller pour l’employer dans les fondations de leur construction et le ramenèrent à sa position primitive (Dubart, J.-L., 2005, Comtes et légendes du pays hennuyer, Bruxelles, Editions Memor, 123 p.).
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F. Lecouvet (1853) signale encore une légende selon laquelle le monde finirait si la dalle venait à s’écrouler. Est-il impossible d’imaginer que la croyance en cette idée soit à l’origine de l’empressement des autorités communales à faire redresser, en 1819, la pierre qui s’affaissait peu à peu ?
Une autre série de légendes concerne la reine Brunehaut.
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La plus connue, également collationnée par F. Lecouvet en 1853 et résumée dans l’article de Télé moustique du 7 juillet, nous apprend qu’après avoir été capturée, Brunehaut, reine d’Austrasie, fut attachée, à la queue d’un cheval sauvage, puis traînée jusqu’à ce que mort s’en suive. L’animal finit par s’écrouler mort d’épuisement avec la dépouille déchiquetée de la reine à l’endroit où la pierre fut dressée en mémoire de cet événement. La fixation de cette légende sur le monolithe de Hollain ne repose cependant sur aucun fond historique réel dans la mesure où Brunehaut fut suppliciée en Côte-d’Or et ses cendres enterrées à Autun.
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Une autre légende veut aussi que la pierre ait été amenée et dressée par le diable à la demande de la reine Brunehaut pour marquer la limite entre le Pays de Tournai et son royaume d’Austrasie (Philippe de Hurges, Voyages, 1872, Liège, Editions H. Michelant, p. 38 ; Dubart, J.-L., 2005, Comtes et légendes du pays hennuyer, Bruxelles, Editions Memor, 123 p.).
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Enfin, certains ont prétendu que la fixation du nom de Brunehaut à la dalle dressée provenait de la proximité d’une route construite ou restaurée par la dite reine (Van Haudenard, opus cité, 1958, p. 31).
Selon Desailly, si une personne cassait un morceau du menhir, elle se mettait à saigner du doigt (1924, opus cité). Il faut également, toujours d’après Desailly (1924), se garder d’aiguiser son couteau sur la pierre, au risque de le perdre et de voir la pointe se retourner contre soi. Un autre folkloriste, Van Bemmel (La Belgique illustrée, II, p. 83) note encore la croyance selon laquelle la pierre Brunehaut pousse lentement à la manière d’un arbre. Cette légende de la croissance de la pierre, bien connue (voir Hennuy C., 1984. les mégalithes de Thudinie : leurs dénominations et leurs légendes. In : Le folklore des pierres, Woluwe-Saint-Lambert, Fondation Marinus, p. 11-18) est parfois combinée à celle de l’intervention de Satan qui, par une nuit de tempête aurait dressé là un tout petit mégalithe qui se serait peu à peu fortifié, marquant peut-être le lieu d’un sabbat (Delmelle J., 1986, Légendes du Hainaut, Mons, Fédération du Tourisme de la province de Hainaut, 87 p.).
Il y a presque deux décennies, le dessinateur de bande dessinée François Walthéry racontait dans Le menhir mystérieux, une des historiettes de son album Le p’tit bout d’chique. Bout à bout (1992, Marsu Productions) la mésaventure du p‘tit bout qui, endormi au pied du menhir, rêve d’avoir découvert, sous le monument, une cachette qu’il ouvre en touchant deux yeux gravés sur une des faces du monument, rappel moderne de la trace
de pied de la vierge, avant de se trouver en présence de deux trafiquants clandestins qui le droguent. D’une certaine manière, cette courte histoire évoque aussi le mythe quasi universel du trésor caché qui hante nombre de sites mystérieux, par exemple des grottes et châteaux mais aussi divers monuments mégalithiques.